«C’est le même jeu, pas le même sport !»

Interview d’Eric Sévérac, entraîneur de l’équipe du Servette FC Chênois Féminin et ancien joueur du FC Versoix dans les années 1990.


Eric Sévérac lors d’un match de son équipe le Servette FC Chênois Féminin (Crédit photo : Jonathan Thunik)

Né le 21 décembre 1970 à Saint-Julien-en-Genevois, l’ancien footballeur est notamment titulaire d’une licence UEFA. Après être passé au sein des juniors de Servette, Meyrin et de l’ETG, il est nommé à la tête d’Etoile Carouge en 2015.Il quitte son poste une année plus tard et prend les rênes de l’équipe féminine du Servette en juin 2017, année de sa création. Une équipe qu’il va emmener vers la promotion en LNA et en demi-finale de la Coupe de Suisse dès la première saison. Il entame son 3e exercice à la tête de cette équipe. 

-Eric Sévérac, Quels souvenir gardez-vous de votre premier passage au FC Versoix ? 
J’ai eu la chance de jouer en 1993 au FC Versoix en 1ère ligue avec des partenaires renommés tels que Franco Seramondi et Shane Rufer, j’ai également joué en 1995 sous les ordres de Gabor Pavoni. Ces deux expériences restent d’excellents souvenirs avec notamment les meilleures conditions d’entrainements que j’ai connu à Genève.

-Comment êtes-vous devenus entraîneur de l’équipe première du Servette FC Chênois Féminin ?

J’ai évolué durant 25 ans comme entraineur chez les garçons dans toutes les catégories et à tous les niveaux, de l’école de football à Bernex à la Promotion League à Carouge. J’avais fait le tour de la question et je ne voyais plus rien de très motivant. C’est alors que ma fille et ma femme m’ont suggéré d’aider le football au féminin. Ma fille joue depuis l’âge de 5 ans (soit 14 saisons) et à chaque match je mesurais l’approche détestable des équipes de garçons, des entraineurs et des clubs. En tant qu’instructeur à l’ASF je devais finir sur une note positive et tenter de bousculer ces mentalités !

-Quelle est la situation de votre équipe actuellement et quelles sont les ambitions du club concernant le football au féminin ? 
L’équipe travaille fort pour essayer de s’implanter de façon durable dans la première division suisse. Cette année nous avons accueilli des filles d’expérience avec le retour à Genève de Caroline Abbé ou l’arrivée de Gaelle Thalman. D’autres filles attachées à la région nous ont rejoints pour tenter d’encadrer nos jeunes et de gagner un titre dans les prochaines années. Nous avons fait une excellente préparation estivale et nous allons tout faire pour progresser collectivement durant les mois qui viennent. L’ambition du club est de construire une structure élite solide en profitant de l’expérience des anciennes et le talent des jeunes. De plus, un sport-études ouvrira en septembre 2020 avec une académie féminine digne de ce nom.

-Vous avez entraîner pendant longtemps des équipes masculines, quelle différence avec le fait d’entraîner une équipe féminine?
C’est le même jeu, pas le même sport ! Voilà en résumé ma pensée … Je vois dans les yeux de mes filles une énorme passion pour ce sport, là où les garçons voient une manne financière. Sur le fond, il y a des passes, des tirs, une équipe qui attaque et une qui défend, donc peu de différence. Sur la forme, c’est bien l’approche qui est différente : elles veulent jouer et elles le font très bien ! La pédagogie est également très importante, les filles veulent comprendre et savoir, il faut donc beaucoup communiquer. 

-Quel regard portez-vous sur le football féminin en Suisse ?
Le football féminin en Suisse tient actuellement surtout sur des individualités qui se sont construites seules. Lorsque l’on regarde le cursus des internationales actuelles âgées de 30 ans et plus, elles ont dû évoluées dans un contexte peu favorable et leur carrière doit plus à leur acharnement qu’à l’aide d’entraineurs adaptés. Les structures actuelles sont encore loin d’être idéales mais certains clubs font des efforts à l’image de Zurich ou Servette.

-Quelle amélioration pourrait-être apportée pour rendre le foot féminin plus visible et plus attractif en Suisse ? 
La Coupe du Monde féminine de cet été a aidé à montrer que le football au féminin était très intéressant. Il faut désormais lui donner de la place : des terrains, des vestiaires, des horaires corrects et surtout un encadrement adapté. Le football au féminin manque encore de moyens alors que la motivation des filles et des femmes est énorme.

-Où se situe la Suisse romande par rapport au reste de la Suisse en ce qui concerne l’importance donnée au football féminin ?La Suisse romande a vécu très longtemps sous l’impulsion d’Yverdon et de quelques personnes très motivées, à l’image de sa présidente Madame Vialatte. Aujourd’hui il faudrait plus de mobilisation en Romandie pour former des jeunes filles. Les chemins pris par Sion, Yverdon et Servette sont bons, mais il faudra plus de collaborations pour envisager de devenir autonome. La formation doit compter sur des entraineurs qualifié(e)s pour le football au féminin, sur des infrastructures dignes de ce nom et sur le soutien fort des clubs masculins, qui possèdent déjà cette expérience du football élite. Maintenant, pour le football de base au féminin, il faut faire tomber les barrières ! Je pense que jusqu’à 10-12 ans il ne devrait y avoir aucune différence entre une fille et un garçon dans l’approche du football.

-Quelle est votre sentiment concernant la place qu’occupe le football féminin dans les clubs amateurs du canton de Genève? 
Certains clubs font les choses très bien, ils essayent de structurer avec leurs moyens ce football. Je pense notamment à Compesières ou Versoix. D’autres clubs se lancent dans ce défi comme Perly ou Meyrin et c’est très encourageant. Il faut les aider !

-Justement, où se situe le FC Versoix en ce qui concerne le développement du football féminin ? 
Le FC Versoix est particulier car il se construit en parallèle avec l’école internationale du collège du Léman. Il y a donc des filles issues des pays anglo-saxons qui jouent au football mais qui ne restent pas longtemps à Genève. Il est donc difficile d’avoir une continuité. Par contre, ça permet d’élever le niveau général et c’est très positif. D’autant plus que le FC Versoix travaille dans les règles de l’art. Nous avons eu une fille issue du club qui a participé à la promotion en LNA, Anna Colville, mais qui doit continuer ces études en Angleterre. C’est un vrai crève-cœur de la voir partir !

-Un mot sur votre envie de partenariat avec le FC Versoix? 
Nous avons discuté au printemps dernier d’une collaboration, mais les choses prennent du temps. Les doutes émis sont souvent dû au parallèle fait avec le football masculin et la mauvaise image qu’a pu avoir le Servette par le passé. Nous tâchons de nous dissocier du passé et des garçons pour parler du football au féminin du futur ! Actuellement, même si rien n’est signé, je ne vois aucune réticence du FC Versoix dans la vision que le Servette préconise. 

Propos recueillis par Quentin Pavel 

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